Le magnétisme : la guérison naturelle
La maladie est un déséquilibre dans la circulation et la répartition des fluides magnétiques dû à des blocages subtils au sein du corps. Le processus de guérison se produit dès lors que le blocage est éliminé et que la circulation du fluide est rétablie.
Le magnétiseur aura pour fonction, par imposition des mains - mais le contact n'est pas nécessaire-, de rétablir une circulation harmonieuse du fluide magnétique chez le magnétisé. Par une augmentation du débit du fluide magnétique dans les zones nécessaires, la pression engendrée produira le déblocage des zones responsables du mal et ainsi enclenchera le processus naturel de guérison. Ce procédé fonctionne sur tous les êtres vivants, animal comme végétal. Le fluide magnétique caractérise ce qui est vivant - Schopenhauer dira qu'il est l’œuvre de la Volonté : " C'est une chose tout à fait analogue à l'usage des mains pour magnétiser : mais l'emploi des mains sert justement au magnétiseur à diriger sa Volonté d'une manière décisive. "
Quand on évoque le magnétisme, le nom de Franz-Anton Mesmer est systématiquement cité et c'est aussi ce nom qui sonnera le déclin du magnétisme. Mesmer était un médecin viennois qui développa ce qu'on appelle la théorie du magnétisme animal. Or, il ne s'est pas contenté de développer une théorie, mais aussi une méthode avec laquelle il était possible de guérir par le fluide magnétique. Il exerça en tant que magnétiseur à Vienne - où il fut ensuite interdit d'exercer sous ordre de l'impératrice -, puis à Paris. Il eut un succès considérable par l'intermédiaire de sa société Harmonie qu'il fonda en 1782; le phénomène prit une proportion considérable ce qui attira l'attention des autorités.
La même année, Louis XVI convoqua une première commission présidée par l'Académie royale des sciences et de la Faculté de Médecine afin d'examiner la réalité du magnétisme animal défendue par Mesmer. Puis, une seconde commission présidée cette fois-ci par la Société royale de médecine fut engagée quelques semaines plus tard. Pour être plus précis, ces deux commissions n'examinèrent pas la réalité du magnétisme, mais de la théorie du magnétisme animal défendue par le Dr Deslon - un élève de Mesmer.
Le Dr Deslon était régent de la Faculté de Médecine avant d'être radié pour son adhésion au théorie de Mesmer. Il écrivit un ouvrage "Observations sur le
magnétisme" qui vantait la découverte de Mesmer et demanda une assemblée générale devant la Faculté de Médecine en 1780 qui se solda par sa radiation du tableau des médecins de la faculté et par
le rejet des propositions de Mesmer. Suite à cet épisode, Deslon se proclama lui-même comme magnétiseur et détenteur du savoir de Mesmer, ce dernier verra cela comme une trahison de son ami de
l'époque.
À l’issue de ces deux commissions, la théorie du magnétisme animal fut non admise malgré les réserves de l'un des commissaires de la Société royale de médecine, Laurent de Jussieu, qui émit
ne signera pas le rapport désigné au roi. Toutefois, le rapport fut publié et les membres de la Faculté de Médecine furent imposés d'abjurer la théorie du magnétisme animal développée par Mesmer
- et par extension le magnétisme comme pratique. À ce moment-là, le magnétisme connut un premier déclin.
La Volonté de construire une théorie et une généralisation d'un fait qu'on pourrait qualifier d' "exceptionnel" ne pouvait être que vouée à l'échec. Il existe un
certain nombre de faiblesses dans la façon que le phénomène fut étudié - et l'est encore. D'abord, il y a le magnétiseur qui doit être un véritable magnétiseur et non un magnétiseur qui se
proclame comme tel du fait qu'il suit un protocole élaboré d'après une théorie - ce sera le cas de la théorie du magnétisme animal de Mesmer et de Deslon. On évalue le magnétiseur par ses
résultats, il n'existe pas une véritable méthode et c'est justement ce qui conduira à l'échec quasi-systématique d'un examen scientifique. Le magnétisé a aussi une grande part de responsabilité
dans la réussite d'une séance de magnétisme. Si le magnétisé produit une résistance, le magnétiseur ne pourra pas avec la meilleure Volonté opérée de la meilleure des façons. Par exemple, dans la
première commission convoquée par Louis XVI se trouvait Benjamin Franklin déjà souffrant à cette époque - au moment de la commission, il avait 74 ans. Dans le cadre de la commission dont
Benjamin Franklin était l'un des commissaires, il fut tenté de le magnétiser ; ceci se solda par un échec. Or, il ne pouvait en être autrement, car la position de juge de Benjamin Franklin
l'empêcha d'avoir cette ouverture nécessaire à la réussite de la transmission du " fluide magnétique ".
Les commissions convoquées par Louis XVI avaient pour vocation d'évaluer la théorie du magnétisme animal développée par Mesmer - encore une fois, c'est celle défendue par Deslon qui fut présentée à la commission. L'erreur reposa notamment sur l'idée que le magnétisme soit formalisable et ensuite que la théorie proposée- celle de Mesmer- soit correcte et qu'enfin, les commissions de l'époque proposent un protocole expérimental adéquat. En somme, un ensemble de faiblesses qui laisse penser avec un fort degré de certitude qu'elles furent réunies en cette fin du XVIIIe siècle. Schopenhauer décrira la situation en ces termes:
" Dies diem docet (chaque jour en instruit un autre) : depuis ce temps, l'expérience, ce grand maître, a mis en lumière que cet agent, si puissant, - qui, partant du magnétiseur, provoque des phénomènes si contraires, en apparence, au cours normal de la nature qu'il faut pleinement excuser le doute qu'ils ont suscité si longtemps, l'incrédulité obstinée, la condamnation portée contre eux par une commission comptant parmi ses membres Franklin et Lavoisier, tout en un mot ce qui s'est passé dans la première et seconde périodes d'hostilité contre le magnétisme - (tout sauf les préjugés grossiers et stupides, excluant toute recherche qui ont dominé presque jusqu'à maintenant en Angleterre) ; - depuis ce temps, l'expérience, dis-je, a mis en lumière que cet agent n'est pas autre que la Volonté du magnétiseur. "
Quarante ans après ces deux commissions, Foissac adressa une lettre à l'Académie nationale de médecine pour réexaminer la question du magnétisme animal dont voici:
" Messieurs,
Vous connaissez toutes les expériences qui furent faites, il y a quarante ans, sur le magnétisme animal, par les commissaires de la société royale de médecine ;
leur rapport, vous le savez, ne fut point favorable au magnétisme ; mais un des membres, M. de Jussieu, s'isola de la commission et fit un rapport contradictoire. Depuis, malgré la réprobation
dont il était frappé, le magnétisme donna lieu à de laborieuses recherches, à des observations multipliées : assez récemment encore, des membres de l'académie actuelle de médecine s'en occupèrent
spécialement, et le résultat de leurs expériences fait vivement désirer qu'elles soient continuées avec la même sagesse et la même impartialité.
L'académie royale de médecine, qui s'occupe avec tant de zèle et d'éclat de tout ce qui est relatif à l'avancement de la science et au soulagement de
l'humanité, ne croirait-elle pas qu'il est dans ses attributions de recommencer l'examen du magnétisme animal ? Si elle se décide pour l'affirmative, j'ai l'honneur de la prévenir que j'ai
actuellement à ma disposition une somnambule, et j'offre à MM. les commissaires qu'il lui plaira nommer de faire sur elle les expériences qu'ils jugeront convenables. [...]
Foissac. "
Cette lettre sera suivie d'une commission dont le professeur Husson, médecin-chef de l'Hôtel Dieu de Paris, sera le rapporteur. Cinq ans après la lettre de Foissac, Husson soutient dans son rapport la réalité du magnétisme animal, mais il ne sera pas considéré par l'Académie nationale de médecine. En 1833, une nouvelle commission sera nommée et dirigée cette fois-ci par le Dr Dubois qui s'attaqua avec force au rapport d'Husson. Le Dr Berna proposera un protocole expérimental pour examiner la question, mais ce protocole sera refusé. Il est clair que l'intention fut non pas d'élucider clairement ce qu'était le magnétisme animal, mais bien de faire barrage au succès que connut l'hypnose à cette époque et qui est aujourd'hui enseignée dans les universités de médecine - l'hypnose découle directement des travaux Mesmer, mais l'hypnose se distingue à certain égard du magnétisme en tant que tel. À partir là, l'Académie de médecine ne s'intéressera plus au magnétisme animal. On note malgré tout les protestations à l'encontre des conclusions de cette dernière commission de la part de certaines figures de la médecine de l'époque comme le Pr Husson et le Dr Berna, on rappelle que ce dernier fut directement lié à ladite commission. Bref, on souligne une certaine confusion dans cette affaire.
En fait, la réalité du magnétisme animal rentra en conflit avec la médecine française académique. En effet, à l'étranger, le magnétisme était vu comme étant complémentaire à la médecine académique que ce soit en Russie, en Allemagne, en Angleterre ou encore aux États-Unis d'Amérique. On peut notamment expliquer cela par des raisons politiques que véritablement scientifiques comme on a pu le montrer.
Tout ce qui fut cité plus haut concerne ou est relatif au mesmérisme que les magnétiseurs eux-mêmes ne s'approprient pas nécessairement le discours ou les méthodes. Les magnétiseurs existaient bien avant le mesmérisme. La Volonté de guérir apparaît spontanément pour celui qui fera du magnétisme sa profession, puis cette Volonté de guérir est ponctuée par les témoignages des magnétisés. C'est ainsi que les choses se sont déroulées pour Mme Adéla : une évidence, et en aucun cas, un processus intellectuel aboutissant à l'exercice qui est le sien. La théorisation du magnétisme animal - " le magnétisme animal " est une dénomination du mesmérisme - qui a eu pour réel avantage de mettre des mots sur quelque chose qui n'en avait pas et donc de pouvoir parler du magnétisme sur une base commune sans y adhérer pour autant. Par exemple, le terme de " fluide magnétique " permet de comprendre l'idée de ce qu'est le magnétisme, mais comprendre et décrire le mécanisme avec précision est un exercice périlleux. Mme Adéla pratique le magnétisme, comme la voyance, avec une intime conviction d'où son étrangeté quand elle voit une méthode ou une théorisation du processus comme ce fut le cas dans le mesmérisme. La chose qui doit conforter le magnétiseur n'est en aucune façon la force d'une théorie, mais bien les témoignages qu'on lui adresse. C'est ainsi qu'elle procède !
Le magnétisme fut étroitement lié au pouvoir. Les rois légitimaient leur pouvoir par Dieu et ceci passait par le pouvoir de guérison qu'ils s'attribuaient : la thaumaturgie - " le roi touche, Dieu te guérit " : c'est avec cet aphorisme que l'on peut résumer l'idée de la monarchie de droit divin. Le mesmérisme apparut à une période particulière de l'Histoire : la période prérévolutionnaire.
Mesmer défendait l'idée d'une harmonie universelle renvoyant directement aux valeurs des Lumières et aux idéaux révolutionnaires. En effet, son discours sous-entendait que cette capacité de guérison qui était auparavant l'exclusivité du roi ou des autorités religieuses était en fait accessible à tous : le magnétisme devait être vecteur des idées révolutionnaires universalistes - Mesmer parlait d'un fluide magnétique universel. On sait par exemple que le Marquis de Lafayette, figure célèbre de l'indépendance des États-Unis d'Amérique et de la Révolution française, fut, en référence à sa correspondance avec Georges Washington, un enthousiaste admirateur du mesmérisme comme de nombreux révolutionnaires à cette époque. Lafayette voyait dans le magnétisme animal une pratique similaire à celle pratiquée par les Nord amérindiens. On peut dire que la récupération des théories de Mesmer à des fins politiques rendirent difficile sa reconnaissance par les institutions à la fin du XVIIIe siècle où celles-ci virent dans le magnétisme une source d'instabilité sociale. De plus, les découvertes sur électromagnétisme au début du XIXe siècle mirent le coup de grâce au mesmérisme qui fondait sa théorie sur le magnétisme animal et sur l'existence d'un fluide magnétique universelle, ce qui ne correspondait pas avec les découvertes scientifiques à ce moment-là. C'est en cela que l'usage du terme de " magnétisme " et la production d'une théorie "mécaniste" étaient d'une certaine façon une erreur. Schopenhauer expliquera la méprise en ces mots :
" [...] c'est la Volonté en soi, la Volonté sous sa forme originaire, ma Volonté, par suite séparée de la représentation, qui agit ; les fausses conceptions de l'intelligence ne sauraient en rien compromettre son action. La théorie et la pratique sont tout à fait séparées ; la fausseté de l'un ne gêne en rien l'autre ; et la rectitude de la théorie ne rend pas apte à la pratique. Mesmer, au commencement, attribuait les effets produits par lui aux baguettes magnétiques qu'il avait en mains ; il expliquait les merveilles du magnétisme animal d'un point de vue matérialiste par un fluide subtil, pénétrant tout, et il n'en agissait pas moins d'une manière étonnante. "
Schopenhauer énonce l'erreur de Mesmer qui tenta d'expliquer la Volonté en étant dans la représentation, alors que la Volonté s'en trouve en dehors. De plus, selon lui, la volonté du magnétiseur est proprement ce qui agit.
On finira par citer de nouveau Schopenhauer qui résume pour ainsi dire ce que sous-tend la réalité du magnétisme :
" Mais nous savons maintenant, par ma philosophie, que cette chose en soi, donc aussi l'essence intérieure de l'homme, est sa Volonté, et que l'organisme de chacun, tout entier, tel qu'il s'exprime empiriquement, n'est que l'objectivation de cette Volonté, plus exactement l'image qui se forme dans notre cerveau de cette Volonté. Mais la volonté comme chose en soi existe en dehors du principium individuationis ( Temps et Espace), ce principe par lequel les individus arrivent à l'existence séparée. Les limites qui proviennent de l'action de ce principe n'existent donc pas pour la Volonté. Ainsi s'explique, - aussi loin que notre vue puisse atteindre quand nous nous risquons sur ce domaine, - ainsi s' explique la possibilité de l'action immédiate des individus l'un sur l'autre, indépendamment de toute distance petite ou grande [...] "